IDÉES
Nicolas Goldberg : "Le prochain gouvernement devra considérer l’énergie comme une priorité"
13 DECEMBRE 2024
Alors que les acteurs de l’énergie n’en finissent plus d’attendre la publication de la PPE3, feuille de route énergétique française pour les dix prochaines années, la censure du gouvernement Barnier pourrait encore une fois retarder sa publication. Spécialiste de l‘énergie au cabinet Colombus Consulting, Nicolas Goldberg nous explique pourquoi il est pourtant essentiel de reconsidérer la planification énergétique comme une véritable priorité politique.
Attendue depuis l’été 2023, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3), qui doit fixer les objectifs de production et de consommation par source d’énergie pour la période 2025-2035 – pourrait encore être reportée. Quelles en seraient les conséquences ?
Le secteur de l’énergie a impérativement besoin de visibilité pour planifier les appels d’offres et accélérer la production d’énergies renouvelables. Tant qu’elles n’auront pas d’objectifs chiffrés pour l’éolien et le solaire, les entreprises et les collectivités continueront le « business as usual » et de nombreux projets resteront en attente alors qu’il faudrait monter en puissance. Si l’on veut répondre aux engagements de l’Europe sur le climat, nous devons parvenir à réduire de 55% nos émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport aux niveaux de 1990, il est donc urgent de se mettre d’accord sur un cap commun qui permettra aux entreprises de travailler plus vite. La séquence politique des 18 derniers mois a fait prendre beaucoup de retard au projet de PPE, mais on approche du but : la ministre de la transition énergétique Agnès Panier-Runacher a mené de nombreuses études pendant ses mandats, la consultation publique a été lancée début novembre et le prochain gouvernement devrait pouvoir publier le texte par décret au premier trimestre 2025, avec plus d’un an et demi de retard au regard du Code de l’Energie. Mais le débat est toujours en cours.
Que pensez-vous de ce projet de PPE3 ?
La France aurait pu être plus ambitieuse, en précisant notamment des objectifs physiques et en détaillant les modes de financement des projets, mais on va globalement dans le bon sens. Le projet de PPE prend en compte à la fois les sujets de sobriété et d’efficacité énergétiques, de transports, d’énergies renouvelables électriques et non-électriques. Elle vise des objectifs de production à horizon 2035 de 100 GW de solaire photovoltaïque, de 28GW de géothermie, de 35 GW d’éolien terrestre et de 18 GW d’éolien maritime, tout en multipliant par 5 la production de biogaz et en réduisant la consommation finale de 30% entre 2022 et 2035. Ce sont des objectifs plutôt ambitieux et il est temps qu’on arrête de procrastiner, car plus on perd de temps, plus on met en danger le climat, mais aussi le pouvoir d’achat des Français et le déficit des finances publiques. Car il faut bien comprendre que si on avait réduit notre dépendance aux énergies fossiles plus tôt, les finances publiques ne seraient pas dans cet état aujourd’hui. En effet, le déficit actuel s’explique en grande partie par la crise de l’énergie et ses conséquences sur les entreprises françaises, ainsi que par les 100 milliards d’euros de bouclier tarifaire et les dizaines de milliards d’euros annuels d’importations de combustibles fossiles…
Si la transition énergétique s’impose comme une absolue nécessité économique, comment expliquez-vous qu’elle rencontre encore autant de réfractaires, au point que les précédents gouvernements aient préféré de ne pas soumettre la PPE au vote de l’Assemblée ?
C’est un vaste sujet, mais on peut penser que les questions de l’énergie mériteraient d’être mieux comprises. Il faut rappeler que la France dépend encore à 60% d’énergies fossiles importées, en provenance de pays comme la Russie et les états pétroliers du Moyen-Orient. Si notre mix électrique est déjà décarboné à 93%, on ne pourra pas se libérer de cette dépendance sans électrifier de nombreux usages, et donc augmenter significativement notre production d’électricité… Et on ne parviendra pas à le faire suffisamment vite si l’on ne développe pas massivement les énergies renouvelables. C’est une question de timing : même si les nouveaux réacteurs nucléaires seront raccordés au réseau entre 2035 et 2040 – dans le meilleur des cas, car on attend toujours la connexion de l’EPR de Flamanville – seuls l’éolien et le photovoltaïque sont en mesure de produire rapidement une énergie locale, peu chère et décarbonée, en complément de l’énergie nucléaire. Pourtant les vieux réflexes persistent et on entend encore dire que les énergies renouvelables seraient chères ou poseraient problème par leur intermittence, ce qui moins le cas aujourd’hui qu’il y a 10 ans car la gestion de cette intermittence s’améliore. À l’inverse, les énergies éolienne et photovoltaïque peuvent se combiner et leur potentiel est gigantesque : elles pourraient renforcer le mix énergétique français en énergie décarbonée, préserver le pouvoir d’achat des Français, restaurer notre souveraineté et stabiliser le budget. Pour toutes ces raisons, il sera essentiel que le prochain gouvernement ne tarde pas à publier la PPE3, mais surtout qu’il considère l’énergie comme une priorité politique, qui ne concerne pas uniquement le ministère de la transition énergétique mais le gouvernement au plus haut niveau.
« Il faut bien comprendre que si on avait réduit notre dépendance aux énergies fossiles plus tôt, les finances publiques ne seraient pas dans cet état aujourd’hui. En effet, le déficit actuel s’explique en grande partie par la crise de l’énergie et ses conséquences sur les entreprises françaises, ainsi que par les 100 milliards d’euros de bouclier tarifaire et les dizaines de milliards d’euros annuels d’importations de combustibles fossiles… »